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Plaisirs des sports
Le tout premier texte publié par Jean Prévost, une nouvelle d’une dizaine de pages, s’intitule « Journée du pugiliste ». Le lecteur y suit Pierre, du matin, lors de son réveil, à son combat de boxe de l’après-midi. C’est une nouvelle sportive, genre à la mode alors qu’approchent les Jeux Olympiques parisiens de 1924.A 22 ans, alors qu’il vient de sortir de la rue d’Ulm, Jean Prévost fréquente déjà un milieu littéraire auquel ses camarades normaliens et agrégés n’ont encore pas accès. Il est ami de Jacques Rivière, le directeur et fondateur de La Nouvelle Revue française, qui l’a engagé à écrire ses premières pages. Prévost fait mouche. « J’ai lu avec un véritable intérêt votre Journée du pugiliste, lui répond Rivière. Il y a dans ces pages une netteté et une vivacité d’impressions qui me plaisent fort. Je pense que je vais les publier. » La parution survient dans le n° 126, en mars 1924. Jean Prévost, malgré sa vie miséreuse, pénètre à 22 ans dans le saint des saints, la revue littéraire de Gallimard.
Né en 1901, pur produit de la méritocratie républicaine, boursier et fils d’enseignants, Prévost entre en khâgne au lycée Henri-IV, où son professeur de philosophie, Alain, le marque à jamais, puis intègre Normale sup’ en 1919. Le jeune homme n’y est pas très heureux : il trouve l’académisme un peu pesant. Il préfère le sport, qui a droit de cité rue d’Ulm à la suite de la loi de 1905 sur l’incorporation des normaliens, prévoyant une année « avec éducation et exercices physiques obligatoires ». -
Prévost, ainsi, rejoint une tradition, certes récente, fondée par le normalien grammairien Georges Rozet, adepte du Paris Université Club, auteur des Fêtes du muscles, dont le fait de gloire consiste à « être le premier à pénétrer rue d’Ulm en bicyclette ». Louis Hémon est l’un de ces autres étudiants assez typiques de cette passion sportive : fils de normalien, élève de Louis-le-Grand, puis de la Sorbonne, il pratique parallèlement la course de fond, le rugby, le canoë, la natation et la boxe, et devient journaliste au quotidien l’Auto, puis l’auteur du premier grand roman de sport français, Battling Malone, pugiliste, écrit entre 1909 et 1910.
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Jean Prévost devient lui-aussi un amateur accompli, pratiquant la course, le canoë, la boxe, l’escrime, licencié au Plume-Palette Club et au PUC. Il devient même champion universitaire de boxe catégorie poids léger. Un de ses combats reste célèbre, celui organisé par Adrienne Monnier, au Plume-Palette Club à la fin de l’année 1924, où il affronte son ami Ernest Hemingway, autre amateur du noble art. L’Américain se brise le pouce sur la tête du Français.
Bientôt, Prévost découvre la gymnastique suédoise, la simplicité de ses mouvements, la cadence athlétique et répétée de ses gestes, la centralité du buste et la souplesse des extrémités. Le sport dès lors l’accompagne. Quand il aura l’aisance d’avoir un bureau, il y installera un punching-ball, afin de garder la forme au milieu d’une journée de travail. -
Jean Prévost, quittant la rue d’Ulm en juin 1922 sans agrégation, écrit dans les revues du moment ; c’est pour lui une nécessité, l’impératif quotidien et vulgaire de gagner sa vie. Soit en vingt ans : trois millions et demi de mots ! Heureusement, les années 1920 sont un véritable âge d’or des revues.
« Si un éditeur, sur vos premiers articles, vous fait des demandes à vous lire davantage, profitez-en ! », conseille Prévost aux plus jeunes auteurs. C’est exactement l’aventure positive qui lui arrive : Jacques Rivière et Jean Paulhan promeuvent l’apprenti écrivain au statut d’auteur chez Gallimard, où il publie, en octobre 1925, son premier livre, Plaisirs des sports. -
Essais sur le corps humain, où il réunit une quinzaine de ses articles sur le sport repris de la NRF, du Navire d’Argent ou des Nouvelles littéraires, « Journée du pugiliste », « Le boxeur méchant », « Essai sur l’escrime », « Cinq kilomètres », « Médiocrité heureuse », « La matinée dans un sous-bois », « Amitié du fleuve », « L’homme à la montre », « Le loisir sportif », « Amitié du discobole ».
Prévost propose, dans la première partie, intitulée « Education », une vraie méthode d’apprentissage. Il annonce : « Venu aux sports, tu noues avec ton corps une alliance nouvelle. Il te parle, te rit et t’obéit. Ecoute-le, prends garde à lui. » Prévost est un athlète discipliné qui, toute sa vie durant, dénonce la nouvelle dictature de l’abondance : « Depuis que l’homme ne risque plus de mourir de faim, l’instinct de manger tout ce qui peut être mangeable met sa vie en danger. » L’homme occidental devient trop lourd. Il lui faut retrouver les exercices naturels, sinon il finira par mourir d’excès de tout. -
A contrario, être de vie sobre, appartenant à cette « confrérie de l’estomac léger », Prévost fait valoir le brio de sa plume sportive par l’art de la description, précise, technique, des corps parcourus par l’effort. En juillet 1925, Edmond Jaloux, critique influent des Nouvelles littéraires, propose dans sa revue un compte-rendu de Plaisirs des sports. Il désigne Prévost comme « un des écrivains les mieux doués de sa génération, un de ceux qui ont les plus grandes dispositions à penser par eux-mêmes » : pour qui voudrait « pénétrer l’état d’esprit des jeunes intellectuels français d’après-guerre, il faudra lire cette œuvre, particulièrement forte, témoignant de plus de pensée et d’expérience que bien des gros volumes ». Ces lignes sont un adoubement pour le jeune auteur de 24 ans.
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Mais Prévost n’est pas seul, partageant avec une petite équipe littéraire le titre d’avant-centre de l’écriture sportive. Non seulement quelques écrivains sont des sportifs eux-mêmes, puisque Gide fait de l’escrime, Béraud de la course à pied, Dorgelès et Prévost de la boxe, Bost du basketball, Mac Orlan et Giraudoux du rugby, Colette de la gymnastique, Montherlant du football, mais la plupart écrivent sur cette passion nouvelle, la transforment en écriture spécifique. Le sport devient, au cours des années 1920, un aspect central de la vie et de la pensée de nombre d’écrivains et d’intellectuels français, tels Henry de Montherlant (Les Olympiques et La Relève du matin), Jean Giraudoux (Le Sport, notes et maximes), Alexandre Arnoux (Suites variées), Colette (Quatre Saisons), Tristan Bernard (Paris Grand-Prix), Philippe Soupault (En joue !), Henri Decoin (Le Roi de la pédale ou encore Quinze rounds), Maurice Maeterlink (Eloge de la boxe), Dominique Braga (5 000), Pierre Benoist (La Chaussée des géants), Maurice Genevoix (Euthymos, vainqueur olympique), Maurice Carême (Le Martyre d’un supporter), autant d’auteurs qui se sont imposés au milieu des années 1920 via l’écriture sportive.
Pour Jean Prévost, en lutte contre l’intellectuel binoclard, chétif et gringalet, le couple sport et pensée toujours se complète. Car, comme il le lance en exergue dans Plaisirs des sports, « le sport aussi a ses Humanités. »Antoine de Baecque
Professeur au département ARTS
Auteur de Sports Belle Epoque (Editions Passé/Composé, 2024)