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Europe, 1923-2023 : une revue engagée et ouverte sur le monde
La création de la revue Europe en 1923 est le fruit du courant pacifiste né au sortir de la Grande Guerre. Dès le premier numéro, la ligne éditoriale de cette revue, qui cherche à se démarquer de la Nouvelle Revue Française, est claire : briser les frontières et faire dialoguer les cultures, non seulement au sein de l'Europe, « carrefour des civilisations », mais au-delà du vieux continent. « Le monde n'est pas trop grand pour nous » écrit René Arcos, ajoutant que l’idée de patrie n’est qu’une idée d’avare.
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Cet universalisme porte la marque de Romain Rolland, ancien normalien et prix Nobel de littérature en 1915 pour son livre Au-dessus de la mêlée, qui donne l’impulsion à la création de cette revue autour de quelques écrivains membres de « l'Abbaye de Créteil », tels que René Arcos, Charles Vidrac, Georges Duhamel et Léon Bazalgette, le traducteur de Walt Whitman. Jules Romains et Pierre-Jean Jouve y participent également et les directeurs des éditions Rieder, Albert Crémieux et Jean-Richard Bloch prennent en charge sa publication jusqu’à la fin des années 1930. Ils sont rejoints par Jean Guéhenno, qui succède à René Arcos comme rédacteur en chef en 1929 et Jean Cassou, qui dirige la revue de 1936 à 1939.
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Interrompue pendant la guerre, elle reparaît en 1946 grâce à l’intervention d’Aragon, qui la fait publier par la Bibliothèque française, absorbée en 1949 par les Éditeurs français réunis. C’est alors Pierre Abraham, le frère de Jean-Richard Bloch, qui en assure la direction jusqu’en 1974, auquel succèdent Pierre Gamarra, Charles Dobzynski et enfin Jean-Baptiste Para en 2015.
Très vite, Europe bénéficie du concours de quelques plumes illustres et fait découvrir de jeunes auteurs prometteurs : Max Jacob, Jules Supervielle, Robert Desnos, Tristan Tzara, Aragon, Elsa Triolet, Philippe Soupault, Paul Éluard, Louis-Ferdinand Céline, Louis Guilloux, Paul Nizan, Marguerite Yourcenar, Jean Giono, Henry de Montherlant, Alain, Raymond Aron ou encore Georges Canguilhem.
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Elle accueille aussi des contributions internationales : Luigi Pirandello, Joseph Conrad, D. H. Lawrence, George Bernard Shaw, H. G. Wells, W. B. Yeats, Virginia Woolf, John Dos Passos, Aldous Huxley, William Faulkner, Rainer Maria Rilke, Stefan Zweig, Oswald Spengler, Robert Musil, Arthur Koestler, Panaït Istrati, Maxime Gorki, Alexandre Blok, Isaac Babel, Ivan Bounine, Eugène Zamiatine et Trotski, qui publie des fragments de son Histoire de la révolution russe. Europe devient aussi une tribune pour les intellectuels allemands exilés après 1933, comme Thomas et Heinrich Mann, Alfred Kantorowicz, Joseph Roth, Anna Seghers, Walter Benjamin et Bertolt Brecht. Frans Masereel y signe quelques dessins, tandis que Picasso réalise une couverture en 1949.
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Portrait de Romain Rolland. Gravure de Frans Masereel réalisée pour son soixantième anniversaire, Europe, vol. 10, n° 38, février 1926, p. 216
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Europe contribue aussi à promouvoir la « littérature-monde » et à faire découvrir des cultures sous-estimées et méconnues, notamment à partir des années 1950, sous l’impulsion de Pierre Abraham, qui dirige la revue de 1949 à 1974 : Europe de l'Est et du Nord, Amérique latine, Antilles, Maghreb, Afrique noire, Moyen Orient, Asie, Nouvelle-Zélande, etc. Cette revue a marqué son siècle par ses prises de position et son engagement politique, qui fut longtemps étroitement lié au parti communiste : la guerre du Rif, l'affaire Sacco et Vanzetti, les mouvements de décolonisation, la montée du fascisme et du nazisme, la guerre d'Espagne, l’occupation de la Mandchourie par le Japon, la guerre civile grecque, la révolution cubaine, la guerre du Vietnam, le coup d’État de Pinochet. Elle commémore aussi les grands soulèvements populaires et mouvement sociaux français : la Commune de Paris, le Front populaire, le bicentenaire de la Révolution française. Elle consacre également un numéro au cinquantenaire de la révolution russe.
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José Marti (1853-1895), « Pour la dignité de l’homme », Europe, vol. 41, n° 409, mai 1963, p. 17
Ce numéro consacré à Cuba a été en grande partie réalisé par Pierre Gamarra, hispaniste qui s’est rendu sur l’île en 1962 et est alors rédacteur en chef d’Europe. Il y est question aussi bien de littérature, avec notamment la publication de poèmes cubains, que du mouvement révolutionnaire depuis José Marti dont cet extrait publie un discours datant de 1891, avec en regard des photos de guérilleros par Roger Pic. Le numéro contient aussi des photos de Castro par Agnès Varda. À noter également des articles sur le surréalisme à Cuba, sur la musique afro-cubaine ou encore, sur le cinéma cubain. -
Mais la revue Europe entend aussi revisiter les classiques : Homère, Dante, Pétrarque, Rabelais, Ronsard, Agrippa d’Aubigné, Descartes, Molière, Cervantès, Balzac, Hugo, George Sand, Flaubert, Zola, Michelet, Baudelaire, Rimbaud, Goethe, Tolstoï et Dostoïevski ne sont pas oubliés. Et elle ne cesse de diversifier les auteurs abordés au fil des années. De plus, elle met à l’honneur des genres mineurs et des auteurs souvent assimilés à la culture populaire : la science-fiction, le fantastique américain, la fiction policière, la littérature jeunesse, la bande dessinée, Jules Verne, Arsène Lupin.
Europe ne s’est pas contentée d’abolir les frontières entre les hommes, mais aussi entre les genres. Il s'agit en effet d'ouvrir la littérature, non seulement à l’actualité, mais aussi à l’histoire de l’art et aux sciences humaines (l’histoire, l’ethnologie, la psychanalyse), sans oublier la musique, voire le cinéma. Une revue qui a su se renouveler et sans cesse élargir ses horizons, tout en restant fidèle à une certaine vision de la littérature, qui la caractérise depuis sa fondation, une « politique de la littérature ».
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Cette exposition a été réalisée à l’occasion du centenaire de la revue Europe et du colloque international Europe : une politique de la littérature, qui a lieu à l’ENS du 26 au 28 janvier 2023 en salle Dussane et qui est organisé par Marc Crépon, Jean Lacoste, Martine Liégeois, Jean-Baptiste Para et Mario Ranieri Martinotti.
La revue est également disponible en ligne, sur Gallica et ProQuest, jusqu’en 2000. -
Exposition réalisée par Fabrice Quénéa, bibliothécaire au service des périodiques
Cette exposition a fait l'objet d'un article paru dans le n° 51 des Études Romain Rolland (juillet 2023) et disponible en ligne