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Ulm-LSH / Jourdan-SHS
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Étienne Moreau-Nélaton (1859-1927)
Sur les conseils d’Ernest Lavisse (1862 l), une relation de son père, Étienne Moreau-Nélaton passe le concours de l’École en 1878. Reçu, il entreprend des études d’histoire. Cependant, rapidement, l’intérêt du jeune normalien se porte vers un autre monde, celui de la peinture, ce qui explique la brièveté de son séjour rue d’Ulm. Après sa licence, il choisit de s’orienter définitivement dans cette voie. Ce choix n’est pas surprenant, étant donné le double héritage familial, financier d’une part, culturel d’autre part.
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Étienne Moreau-Nélaton est né en 1859 dans une famille fortunée de la grande bourgeoisie parisienne, qui porte un fort intérêt aux arts. La Révolution française a été l’occasion pour son arrière grand-père de jeter les fondements de la fortune familiale, consolidée par son grand-père Adolphe « père » et par son père Adolphe « fils ». L’un comme l’autre ont été d’importants collectionneurs. Adolphe « père » ouvre un salon où se retrouvent peintres et écrivains et rassemble une collection de plus de 800 toiles, dont plusieurs de son ami Eugène Delacroix. Adolphe « fils », s’il collectionne plutôt des objets d’art, pratique les arts picturaux et est l’auteur d’un ouvrage consacré à Delacroix. Quant à Camille Nélaton, la mère d’Étienne, elle est une céramiste renommée. Le milieu familial prédispose donc le jeune homme aux arts.
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En des temporalités différentes, Étienne Moreau-Nélaton embrasse les trois voies empruntées par son grand-père et ses parents tout en élargissant son champ de création et de recherche : les arts plastiques, le goût de la collection, l’histoire de l’art auxquels s’ajoutent les arts décoratifs, l’art du conte et de la nouvelle, la photographie, l’histoire du patrimoine, la généalogie.
Le futur peintre suit les cours d’Harpignies et de Maignan, recevant un enseignement académique. Aucun genre ni aucune technique ne lui sont étrangers. Après un échec au Salon de 1887, il crée avec Jacques Émile Blanche et Eugène Carrière la société des « 33 » qui expose en 1888.
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1889 est l’année d’un certain succès, mais surtout de son mariage avec Edmée Braun qui l’ouvre aux arts décoratifs. Quelques années plus tard, découvrant le groupe des Cinq grâce à Roger Marx il s’engage dans le mouvement des arts décoratifs, adhère aux théories de l’« art social » et rejoint en 1897 le groupe de l’« Art dans Tout », puis celui de l’« Art à l’École ».
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1897 est une année terrible pour Étienne Moreau-Nélaton puisque le 4 mai il perd sa femme et sa mère dans l’incendie du Bazar de la Charité. Ce double choc réoriente en partie ses activités. Sans renoncer à la peinture, il se tourne vers la céramique et surtout, dans la tradition familiale, vers la collection et l’histoire de l’art.
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Héritier des collections familiales, qu’il enrichit de nouveaux Delacroix et Corot, il forme sa propre collection en acquérant des œuvres pré-impressionnistes et impressionnistes : Manet, Monet, Sisley, Pissarro sont présents dans sa collection ainsi que des œuvres de ses amis, en particulier Eugène Carrière et Maurice Denis. Il achète aussi dessins, estampes, carnets d’artistes de Delacroix, Corot, Millet. Ses achats ne répondent pas uniquement à ses goûts esthétiques mais traduisent sa conception « patrimoniale » de la collection, étant destinés à « combler les vides des collections existantes » – ce dont témoignent ses donations de 1906 et de 1919 au Louvre ainsi que son legs à l’État de milliers de dessins, estampes et autographes.
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À partir de 1902, tout en continuant à peindre, Étienne Moreau-Nélaton se consacre à l’écriture de monographies de peintres et à l’histoire de Fère-en-Tardenois, où sa famille est installée depuis le début du XIXe siècle. Ses recherches sont consacrées à l’art du portrait de cour au XVIe siècle et à la peinture du XIXe siècle. Pour cette période, sa production suit deux voies : les catalogues raisonnés de l’œuvre de Corot et de l’œuvre gravé de Manet ; les biographies d’artistes, dans la série du peintre « raconté par lui-même ». De 1916 à 1927, il en publie sept, la première, consacrée à Delacroix fixant la méthode. Il s’agit de raconter l’artiste et sa vie à partir de ses correspondances, de témoignages, d’articles de presse, en s’appuyant sur une iconographie liée au texte.
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La photographie, pratiquée très tôt, joue au début du siècle un rôle majeur dans les travaux d’Étienne Moreau-Nélaton qui réalise un véritable inventaire photographique des édifices religieux du Tardenois, de la cathédrale de Reims au lendemain de sa destruction par les Allemands, de Fère-en-Tardenois dont il écrit l’histoire.
À toute cette diversité Étienne Moreau-Nélaton ajoute un talent de conteur pour enfants.Ce catholique fervent, ami de son condisciple le cardinal Baudrillard, cet antidreyfusard et nationaliste, ébranlé par la mort de son fils quelques semaines avant l’armistice, abandonne ses positions après la guerre, au profit d’une « humaine fraternité ».
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Si sa vie fut couronnée par son élection à l’Académie des Beaux-Arts en 1925, c’est d’abord comme historien de l’art et comme donateur que ce normalien aux facettes multiples est passé à la postérité.
Michel Rapoport, novembre 2022
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Liste des documents présentés
L'École
- Photographie de la promotion 1878, Paris, Pierre Petit, vers 1878. Bibliothèque Ulm-LSH, PHO/D/2/1878/5
La promotion de 1878, dite « la grande promotion » est celle, entre autres, d’Henri Bergson, Jean Jaurès, Alfred Baudrillart, futur cardinal, Paul Desjardins, fondateur des Décades de Pontigny et de deux historiens, le byzantinologue Charles Diehl et le médiéviste Christian Pfister ; - Bibliothèque des lettres, Registre des livres empruntés par les élèves, 1880-1881. Bibliothèque Ulm-LSH, AB/29
Durant ses années de présence à l’École, les lectures d’Étienne Moreau-Nélaton répondent aux nécessités de la préparation de la licence d’histoire mais témoignent aussi de ses goûts pour la littérature classique et d’un certain éclectisme ; - Étienne Moreau-Nélaton, Le palais des cubes, 8 estampes gr. à l’eau-forte, Paris, 1894. Bibliothèque Ulm-LSH, S G ip 93 F 4°
L’attachement d’Étienne Moreau-Nélaton à l’École est profond comme en témoigne la série de planches gravées à l’occasion du centenaire de l’ENS, et le don qu’il fait à la bibliothèque de 18 des ouvrages dont il est l’auteur, certains avec un envoi à l’ENS ;
La famille et les amis
- Faire-part de mariage d’Étiennette Moreau Nélaton avec Paul Brodin, 24 juin 1914. Collection particulière
Mgr Baudrillart, seul ami de promotion avec lequel Moreau-Nélaton entretint une relation suivie, fut de tous les évènements familiaux, heureux (ici, le mariage de sa fille) comme malheureux. Lors de la perte de sa mère et de son épouse dans l’incendie du Bazar de la Charité, lors de la mort de son fils Dominique, quelques semaines avant la fin de la guerre, Baudrillart fut à ses côtés ; - Étienne Moreau-Nélaton, Histoire d’une âme héroïque : Dominique Moreau-Nélaton raconté par son père, Paris, impr. Frazier-Soye, 1919. Bibliothèque Ulm-LSH, B A d 256 4° ; envoi manuscrit de l’auteur
Le 12 mai 1918, Étienne Moreau-Nélaton vit un troisième drame familial : son fils Dominique est tué au combat, quelques semaines après son vingtième anniversaire. Son père retrace la vie de ce fils benjamin et, à partir de ses lettres, sa vie de soldat de 1914 à sa mort, sorte de tragique conclusion au Mémorial de famille qui vient de paraître ; - Frédéric Henriet, Étienne Moreau-Nélaton, Paris, 1907. Collection particulière
Outre Alfred Baudrillart, les amis d’Étienne Moreau-Nélaton sont soit des peintres, comme Maurice Denis ou Eugène Carrière, soit des amis du lycée Condorcet, comme Louis de Launay avec lequel il échange une importante correspondance tout au long de sa vie, ou Raymond Koechlin. Le cas de Frédéric Henriet, plus âgé qu’Étienne Moreau-Nélaton, est doublement intéressant car c’est un peintre mais aussi un historien du Tardenois.
L’historien de l’art et le collectionneur-donateur
- Étienne Moreau-Nélaton, Corot raconté par lui-même, Paris, Henri Laurens, 1924. Bibliothèque Ulm-LSH, B A d 258 A 4° ; envoi manuscrit de l’auteur.
À partir de 1916, Étienne Moreau-Nélaton développe un nouveau genre : la biographie d’artiste dans une série, le peintre « raconté par lui-même ». Entre 1916 et 1927, il publie sept monographies de pré-impressionnistes. La première, Delacroix raconté par lui-même, fixe sa méthode : recours à la correspondance, aux témoignages, aux articles de presse, à la photographie ; - La donation Étienne Moreau-Nélaton au cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale au Musée du Louvre et au Musée des arts décoratifs, Paris, Armand Colin, 1927. Collection particulière.
De son vivant, Moreau-Nélaton a enrichi le Louvre et la Bibliothèque nationale par une série de donations, soit, en 1906, de la collection réunie par son grand-père Adolphe et son père (dont La République nourrit ses enfants et les instruit de Daumier ; douze Delacroix ; une quarantaine de Corot) soit, en 1919, des collections de peintures et de dessins et estampes réunies par lui-même (dont l’Hommage à Delacroix de Fantin-Latour, le Déjeuner sur l’herbe de Manet). Par testament il lègue sa collection de dessins, d’estampes, d’autographes à la Bibliothèque nationale, au Louvre et au musée des Arts décoratifs.
Le photographe, défenseur du patrimoine
- Étienne Moreau-Nélaton, Les églises de chez nous, Paris, Henri Laurens, 1913-1914. Bibliothèque Ulm-LSH, B A d 187 4°.
Depuis le début des années 1880 Étienne Moreau-Nélaton pratique la photographie. Au lendemain de l’adoption de la loi de séparation de l’État et des Églises, il entreprend le recensement des églises et abbayes du Tardenois dans « un livre consacré à l’inventaire archéologique et artistique des édifices religieux des environs… ». De 1908 à 1911, il rédige l’Histoire de Fère-en-Tardenois, largement illustrée de photographies qu’il a prises. Ces ouvrages, ainsi que des « reportages photographiques » sur les destructions dues à la guerre, témoignent de l’intérêt de l’auteur pour la sauvegarde d’un patrimoine menacé de disparition (La cathédrale de Reims, 1915).
L'artiste, l'écrivain
- Étienne Moreau-Nélaton, Les enfants de l’artiste, 1902-1903. Collection particulière (reproductions).
S’il a touché à tous les genres, à partir de 1902, Étienne Moreau-Nélaton se tourne vers une peinture plus « intimiste », peignant ses enfants dans leurs activités et privilégiant « à travers la présence d’un corps, l’ambiance et la sensation affective d’une pièce » (Vincent Pomarède, Étienne Moreau-Nélaton, p. 181), ne cherchant pas à les individualiser par leur visage ; - « Poteries décorées dites de la Tournelle par E. Moreau-Nélaton », Album de la décoration, 1910, vol. 2, pl. 6. Collection particulière.
Après la double perte, lors de l’incendie du Bazar de la Charité, de son épouse et de sa mère, céramiste célèbre, Étienne Moreau-Nélaton se tourne vers cet art et produit, entre 1900 et 1912, dans son four de potier de la Tournelle à Fère, de nombreux grès et céramiques qui s’inscrivent dans le courant des « Arts décoratifs », et qui sont présentés lors d’expositions en France et à l’étranger ; - Étienne Moreau-Nélaton, Les Arts de la Femme, lithographie, vers 1895 (Les Maîtres de l’affiche). Collection particulière.
Au début des années 1890, Étienne Moreau-Nélaton s’intéresse à l’eau-forte puis à la lithographie. Rapidement, il saisit l’importance de l’art de l’illustration, à destination du grand public. Parallèlement, il publie quelques ouvrages illustrés et des affiches publicitaires, cette « enseigne multipliée et mobile ». À côté d’une série consacrée à promouvoir le pardon de la petite ville bretonne, Saint-Jean-du-Doigt, il dessine quelques affiches à l’occasion d’expositions ; - Étienne Moreau-Nélaton, Le Peau-rouge, Paris, H. Floury, 1902. Collection particulière.
Artiste, photographe, historien de l’art et régionaliste, Étienne Moreau-Nélaton est aussi l’auteur de quatre contes, publiés de 1900 à 1905, dont trois, illustrés par lui-même, s’adressent aux enfants et « où s’exprime la mélancolie de quiconque aime avant tout la grandeur du passé, la rectitude des mœurs familiales, la beauté des vieilles pierres ennoblies par l’âme des ancêtres devant ce qu’on appelle le progrès. » (Louis de Launay)
- Photographie de la promotion 1878, Paris, Pierre Petit, vers 1878. Bibliothèque Ulm-LSH, PHO/D/2/1878/5